++17/04 - LES DEUX GUERRES DES ĂTATS-UNIS EN SYRIE:
LE PENTAGONE CONTRE LA CIA.
DerriĂšre le dĂ©ni de Washington, la coresponsabilitĂ© de la CIA dans lâessor du jihad en Syrie
Dans un entretien accordĂ© en mai dernier Ă lâĂ©mission Frontline, David Petraeus â qui dirigea la CIA entre septembre 2011 et novembre 2012 â, a refusĂ© de rĂ©pondre Ă une question sur les activitĂ©s de lâAgence en Syrie. Il occulta ensuite la coresponsabilitĂ© avĂ©rĂ©e de la CIA dans la montĂ©e en puissance des groupes extrĂ©mistes dans ce conflit. Lorsque le journaliste de Frontline lâinterrogea sur ce qui avait « Ă©tĂ© proposĂ© au PrĂ©sident [Obama] pour quâil entende ce que vous et dâautres responsables pensiez quâil fallait faire (âŠ) en Syrie », le gĂ©nĂ©ral Petraeus rĂ©pondit : « Vous savez, je ne peux parler de ce que jâaurais pu recommander en tant quâancien directeur de la CIA, car si jâavais recommandĂ© quelque chose, cela aurait relevĂ© du domaine de lâaction clandestine, et nous ne faisons pas dâactions revendiquĂ©es. Donc câest quelque chose dont je ne parlerai pas. »
Bien quâil ait refusĂ© dâĂ©voquer publiquement lâimplication secrĂšte de la CIA en Syrie,David Petraeus dĂ©signa explicitement les alliĂ©s arabes des puissances occidentales comme responsables de lâessor des groupes extrĂ©mistes en Syrie.Selon lui, « le manque de soutien [amĂ©ricain] pour les diffĂ©rentes forces dâopposition [sic] fut probablement une opportunitĂ© manquĂ©e. Ensuite, bien entendu, vous observez dâautres pays dans la rĂ©gion â les Saoudiens, les Qataris, les Ămiratis â armer et financement diffĂ©rents Ă©lĂ©ments, qui sont parfois des groupes en quelque sorte en compĂ©tition. Puis vous commencez Ă voir Ă©merger lâĂtat Islamique et Ă observer lâĂ©tablissement du Jabhat al-Nosra [en janvier 2012], qui est le groupe affiliĂ© Ă al-QaĂŻda en Syrie [, Ă©galement appelĂ© le Front Al-Nosra]. Donc ces deux milices se sont sĂ©parĂ©es [en avril 2013]. »
Pour quiconque ayant Ă©tudiĂ© les activitĂ©s de la CIA en Syrie, ces arguments du gĂ©nĂ©ral Petraeus masquent le rĂŽle central de lâAgence dans la montĂ©e en puissance de ces groupes extrĂ©mistes. En effet,dâaprĂšs plusieurs sources crĂ©dibles, dont le New York Times, la CIA a « facilitĂ© » dĂšs le mois janvier 2012 les opĂ©rations clandestines dâapprovisionnement en armes des rebelles en Syrie. Ces actions ont impliquĂ© les services saoudiens et qataris que lâancien directeur de la CIA a implicitement dĂ©signĂ©s comme Ă©tant responsables de lâessor des groupes extrĂ©mistes sur le territoire syrien. En juillet 2013, le parlementaire britannique Lord Ashdown affirma que ces armes avaient Ă©quipĂ© « presque exclusivement » des milices jihadistes, dont le fameux Front al-Nosra, Ă lâĂ©poque oĂč ce qui allait devenir Daech Ă©tait encore intĂ©grĂ© Ă ce rĂ©seau avant leur scission dâavril 2013.
Remarquons Ă©galement que le gĂ©nĂ©ral Petraeus a passĂ© sous silence le rĂŽle majeur de la Turquie dans cette guerre secrĂšte, sachant que de nombreuses actions clandestines de la CIA et de ses alliĂ©s pour armer les rebelles en Syrie ont impliquĂ© des opĂ©rations transfrontaliĂšres de livraisons dâarmes depuis le territoire turc.
Comme lâa prĂ©cisĂ© le grand reporter Seymour Hersh, « la CIA avait conspirĂ© depuis [2012] avec ses alliĂ©s britanniques, saoudiens et qataris pour acheminer en Syrie des armes et du matĂ©riel venant de Libye via la Turquie, et ce dans le but de renverser el-Assad. » En outre, un nombre croissant de sources officielles ont dĂ©noncĂ© le rĂŽle central de la Turquie dans le soutien des diffĂ©rents groupes extrĂ©mistes en Syrie, dont le Front al-Nosra et Daech.
Remarquons Ă©galement que le gĂ©nĂ©ral Petraeus a passĂ© sous silence le rĂŽle majeur de la Turquie dans cette guerre secrĂšte, sachant que de nombreuses actions clandestines de la CIA et de ses alliĂ©s pour armer les rebelles en Syrie ont impliquĂ© des opĂ©rations transfrontaliĂšres de livraisons dâarmes depuis le territoire turc.
Comme lâa prĂ©cisĂ© le grand reporter Seymour Hersh, « la CIA avait conspirĂ© depuis [2012] avec ses alliĂ©s britanniques, saoudiens et qataris pour acheminer en Syrie des armes et du matĂ©riel venant de Libye via la Turquie, et ce dans le but de renverser el-Assad. » En outre, un nombre croissant de sources officielles ont dĂ©noncĂ© le rĂŽle central de la Turquie dans le soutien des diffĂ©rents groupes extrĂ©mistes en Syrie, dont le Front al-Nosra et Daech.
Ce dĂ©ni de rĂ©alitĂ© du gĂ©nĂ©ral Petraeus est symptomatique dâune potentielle dissimulation concertĂ©e Ă Washington, sachant que le PrĂ©sident Obama, lâancienne secrĂ©taire dâĂtat Hillary Clinton et dâautres hauts responsables amĂ©ricains ont systĂ©matiquement occultĂ© le rĂŽle majeur de la CIA dans la guerre en Syrie. Comme lâa Ă©crit en aoĂ»t 2015 lâexpert du Proche-Orient Joel Veldkamp, « [les nombreuses] informations sur lâengagement amĂ©ricain dans la facilitation des approvisionnements en armes de lâopposition nâont jamais Ă©tĂ© rĂ©futĂ©es, ni dĂ©menties.Elles sont simplement ignorĂ©es, et elles se perdent dans la confusion suscitĂ©e par lâavalanche de dĂ©clarations contradictoires. Le fait que des journaux de premier plan et des personnalitĂ©s publiques critiquent actuellement lâadministration Obama pour ne pas avoir armĂ© les rebelles [en Syrie] dĂ©montre le succĂšs de cette apparente stratĂ©gie de relations publiques. »
RĂ©cemment, un ex-officier de la CIA nommĂ© Doug Laux a affirmĂ© quâObama nâavait jamais autorisĂ© lâAgence Ă renverser le gouvernement el-Assad, ce qui a interloquĂ© de nombreux spĂ©cialistes. En effet, selon le site MintPressNews, « le rĂ©cit de Laux a fait froncer les sourcils des experts, puisquâil a affirmĂ© quâil existait une volontĂ© intentionnelle de renverser el-Assad, et car lâapprobation de telles fuites par la CIA est inhabituelle. Les Ă©crits des anciens membres de lâAgence doivent ĂȘtre lus et approuvĂ©s par lâAgence. Or, malgrĂ© lâusage intensif du marker noir [dans le livre de Laux], la CIA a autorisĂ© la divulgation de cet aspect malgrĂ© la position officielle des Ătats-Unis, qui consiste Ă rĂ©futer que [leurs services] prennent part Ă de telles opĂ©rations ». Certains hauts responsables amĂ©ricains, parmi lesquels David Petraeus, ont dĂ©clarĂ© quâune approbation du plan de Doug Laux par le PrĂ©sident Obama aurait empĂȘchĂ© lâĂ©mergence de Daech, occultant le fait que la CIA et ses alliĂ©s ont armĂ© massivement des groupes jihadistes en Syrie dĂšs janvier 2012 â ce qui a eu comme consĂ©quence majeure de renforcer al-QaĂŻda et lâautoproclamĂ© « Ătat Islamique » dans ce pays. Comme lâa dĂ©clarĂ© le sĂ©nateur John McCain,« je peux affirmer avec confiance que lâon aurait aujourdâhui une Syrie bien diffĂ©rente si le PrĂ©sident des Ătats-Unis nâavait pas ignorĂ© les avis du directeur de la CIA David Petraeus, de la secrĂ©taire dâĂtat Hillary Clinton, et du secrĂ©taire Ă la DĂ©fense Leon Panetta ».
De telles dĂ©clarations renforcent la fausse impression que les Ătats-Unis ne sont pas intervenus en Syrie pour armer les rebelles, ajoutant de la confusion Ă une situation dĂ©jĂ complexe. Or, cette implication clandestine, illĂ©gale et massive de lâAgence pour renverser Bachar el-Assad est dorĂ©navant indĂ©niable. Elle a mobilisĂ© « plusieurs milliards de dollars », essentiellement saoudiens, et le New York Times a admis en janvier 2016 quâelle avait renforcĂ© des groupes extrĂ©mistes officiellement considĂ©rĂ©s comme des ennemis des Ătats-Unis.
La CIA contre le Pentagone : deux politiques étrangÚres antagonistes
En novembre 2015, la reprĂ©sentante au CongrĂšs Tulsi Gabbard dĂ©posa une proposition de loi, dont le but est de « stopper immĂ©diatement la guerre illĂ©gale et contreproductive visant Ă renverser le gouvernement syrien dâel-Assad », cette loi nâayant toujours pas Ă©tĂ© dĂ©battue ni votĂ©e Ă la Chambre des ReprĂ©sentants. Comme elle lâa expliquĂ© dans un communiquĂ© de presse dĂ©taillant cette initiative, « les Ătats-Unis sont en train de mener deux guerres en Syrie. La premiĂšre est la guerre contre Daech et dâautres extrĂ©mistes islamistes, que le CongrĂšs a autorisĂ©e aprĂšs les attentats du 11-Septembre. La deuxiĂšme est la guerre [secrĂšte et] illĂ©gale pour renverser le gouvernement syrien dâel-Assad. » Elle ajouta que « renverser le gouvernement syrien dâel-Assad est le but de Daech, dâal-QaĂŻda et dâautres groupes islamistes extrĂ©mistes. Nous ne devrions pas nous allier avec ces fanatiques en les aidant Ă remplir leur objectif, car cela est contraire aux intĂ©rĂȘts sĂ©curitaires des Ătats-Unis et de la civilisation. » En effet, elle a prĂ©cisĂ© que « lâargent et les armes que la CIA distribue pour renverser le gouvernement syrien dâel-Assad vont directement ou indirectement dans les mains des groupes islamistes extrĂ©mistes, dont des [milices liĂ©es ou] affiliĂ©es Ă al-QaĂŻda, Ă al-Nosra, Ă Ahrar al-Sham, et Ă dâautres groupes qui sont en rĂ©alitĂ© les ennemis des Ătats-Unis. Ces groupes forment prĂšs de 90 % des soi-disant forces dâopposition, et ils constituent les principales forces combattantes sur le terrain. »
Au dĂ©but du mois de juin, le site dâinformation The Daily Beast sâest fait lâĂ©cho de ces deux guerres syriennes des Ătats-Unis. En effet, lâun de ses journalistes a soulignĂ© lâopposition entre
- le Pentagone â qui combat Daech en Syrie via des « conseillers militaires » â,
- et la CIA qui admet dorĂ©navant quâelle soutient des groupes liĂ©s ou affiliĂ©s Ă al-QaĂŻda.
Selon le Daily Beast, « les forces de lâopposition dans la plus grande ville de Syrie [, câest-Ă -dire Alep,] subissent un assaut fĂ©roce menĂ© sous lâĂ©gide de la Russie, ce qui suscite des craintes que les rebelles puissent ĂȘtre Ă©liminĂ©s en quelques semaines. Quelle est la rĂ©ponse du Pentagone et de la communautĂ© du Renseignement ? Ils se crĂȘpent le chignon. Deux hauts responsables du DĂ©partement de la DĂ©fense ont dĂ©clarĂ© au Daily Beast quâils ne souhaitent pas soutenir les rebelles dans la ville dâAlep, puisquâils sont considĂ©rĂ©s comme Ă©tant affiliĂ©s Ă al-QaĂŻda en Syrie, câest-Ă -dire au Front al-Nosra. La CIA, qui appuie ces groupes rebelles, a rejetĂ© cette affirmation [du Pentagone], dĂ©clarant que lâoffensive de plus en plus massive que les Russes coordonnent a engendrĂ© des alliances de circonstance, qui sont justifiĂ©es par les nĂ©cessitĂ©s du champ de bataille, et non par lâidĂ©ologie. âIl est Ă©trange que les discussions de couloir au DĂ©partement de la DĂ©fense imitent la propagande russeâ, dâaprĂšs un haut responsable amĂ©ricain qui soutient les positions de la communautĂ© du Renseignement. Non sans ironie, il rejette les arguments du Pentagone, qui estime que lâopposition et al-Nosra constituent une seule et unique entitĂ©. » Les informations de ce site tendent Ă confirmer les accusations de la diplomatie russe, qui a indiquĂ© au dĂ©but du mois de juin que les Ătats-Unis auraient demandĂ© Ă la Russie dâĂ©pargner le Front al-Nosra. Comme lâa rapportĂ© lâAssociated Press, « le ministre des Affaires Ă©trangĂšres russes a dĂ©clarĂ© que Washington avait demandĂ© Ă Moscou de ne pas cibler la branche dâal-QaĂŻda en Syrie, le Front al-Nosra. Or, vendredi dernier, les Ătats-Unis ont insistĂ© sur le fait quâils souhaitaient que la Russie sĂ©lectionne rigoureusement ses cibles pour Ă©viter de frapper les civils et les groupes dâopposition lĂ©gitimes. DâaprĂšs [le ministre des Affaires Ă©trangĂšres russes Sergei Lavrov, âils nous disent de ne pas frapper [al-Nosra], car lâopposition ânormaleâ se trouve Ă proximitĂ©. Mais cette opposition doit quitter les positions des terroristes, nous nous sommes accordĂ©s sur cette nĂ©cessitĂ© depuis longtemps.â »
En Syrie, les rebelles « modérés » de la CIA arment al-Qaïda et combattent à ses cÎtés
Parmi les milices jugĂ©es « normales » et « lĂ©gitimes » Ă Washington, la plus importante est le groupe Ahrar al-Sham, qui rassemblerait au moins 15.000 combattants. Comme lâa rapportĂ© le journaliste Gareth Porter, « Ahrar sâest opposĂ© Ă certaines des plus dures versions de la Charia que le Front al-Nosra a imposĂ©es dans les zones conquises par la coalition anti-Assad Ă Idleb [, au printemps 2015]. NĂ©anmoins, ce groupe a bien plus de points communs que de divergences avec al-Nosra. Ă lâinstar de ces derniers, Ahrar al-Sham souhaite imposer un systĂšme politique post-Assad qui serait âun Ătat Islamique sous la loi de la Chariaâ. Par ailleurs, Ahrar partage totalement la haine viscĂ©rale dâal-Nosra pour la minoritĂ© alaouite (âŠ) En vĂ©ritĂ©, la coopĂ©ration militaire entre Ahrar al-Sham et le Front al-Nosra a Ă©tĂ© si Ă©troite que ces derniers considĂšrent Ahrar comme une source dâapprovisionnement en armes, selon un ancien combattant dâal-Nosra ayant quittĂ© la Syrie. »
Comme de nombreuses sources crĂ©dibles lâont confirmĂ©, la guerre secrĂšte de la CIA contre le gouvernement el-Assad implique dâarmer massivement le Front al-Nosra, soit par lâintermĂ©diaire de services alliĂ©s, soit en Ă©quipant des groupes dĂ©crits comme « modĂ©rĂ©s », tels que Ahrar al-Sham. Ă la suite de lâintervention russe dans le conflit syrien, des experts et des journalistes ont expliquĂ© que la CIA, essentiellement via les services spĂ©ciaux saoudiens et dâautres alliĂ©s rĂ©gionaux, livrait massivement des missiles antichars TOW de fabrication amĂ©ricaine aux rebelles en Syrie, et ce depuis 2013. Au printemps 2015, lors de lâoffensive dâIdleb, les principaux destinataires de ces armements Ă©taient les combattants de lâArmĂ©e de la ConquĂȘte, une coalition de groupes extrĂ©mistes coagulĂ©s autour dâal-QaĂŻda â dont la crĂ©ation au premier trimestre 2015 aurait Ă©tĂ© approuvĂ©e par Washington. Comme je lâavais soulignĂ© en novembre dernier, ces missiles ont eu un impact dĂ©cisif dans la guerre en Syrie, et les succĂšs militaires quâils ont engendrĂ©s pourraient ĂȘtre le premier facteur de lâintervention russe dans ce pays.
Toujours selon le Daily Beast,« mĂȘme si les rebelles nâavaient strictement aucun lien avec al-Nosra, il y aurait une sorte de contradiction stratĂ©gique dans les objectifs militaires des Ătats-Unis. Selon ces hauts responsables du Pentagone, les rebelles [soutenus par la CIA] Ă Alep sont en train de combattre le rĂ©gime el-Assad ; en revanche, lâeffort militaire [du DĂ©partement de la DĂ©fense] a comme prioritĂ© de vaincre lâautoproclamĂ© Ătat Islamique. âNous ne jouons aucun rĂŽle Ă Alep. Les forces que nous soutenons combattent Daechâ, comme lâa expliquĂ© au Daily Beast un haut responsable du Pentagone. » Les objectifs du DĂ©partement de la DĂ©fense sont clairs, puisquâils se focalisent sur la lutte contre lâorganisation terroriste dâAbou Bakr al-Baghdadi.Au contraire, le but de la CIA semble ĂȘtre ambigu, voire incohĂ©rent. En effet, lâAgence estime quâil est indispensable de renverser el-Assad en soutenant des groupes liĂ©s ou affiliĂ©s Ă al-QaĂŻda, puisque son rĂ©gime serait un facteur dâinstabilitĂ© propice Ă lâessor de Daech. DâaprĂšs le Daily Beast, « la communautĂ© du Renseignement, qui a soutenu les forces dâopposition Ă Alep, pense que Daech ne peut ĂȘtre vaincu tant quâel-Assad est au pouvoir. Selon eux, ce groupe terroriste prospĂšre dans des zones instables. Et seules les forces locales [sic] â telles que les milices soutenues par la CIA â peuvent attĂ©nuer cette menace. âLâopposition est rĂ©siliente face aux terribles attaques des forces syriennes et russesâ, comme un haut responsable du Renseignement lâa affirmĂ© au Daily Beast. âLa dĂ©faite dâel-Assad est un prĂ©requis indispensable pour que nous puissions vaincre [Daech]. Aussi longtemps quâil y aura en Syrie un leader dĂ©faillant et un Ătat qui lâest tout autant, [Daech] trouvera des zones pour opĂ©rer.â »
Le Pentagone aurait aidé le gouvernement el-Assad à combattre les jihadistes
En rĂ©alitĂ©, les forces soutenant Bachar el-Assad semblent constituer le principal rempart contre Daech en Syrie, une Ă©valuation que partageraient les hauts gradĂ©s du Pentagone. En effet, comme lâa rapportĂ© Seymour Hersh dans la prestigieuse London Review of Books, « ces derniĂšres annĂ©es, lâinsistance rĂ©currente de Barack Obama sur la nĂ©cessitĂ© dâun dĂ©part de Bachar el-Assad â et sur lâidĂ©e quâil existerait des groupes rebelles âmodĂ©rĂ©sâ en Syrie qui seraient capables de le vaincre â, a provoquĂ© des dissensions officieuses, voire mĂȘme une opposition ouverte parmi les principaux officiers du ComitĂ© des chefs dâĂ©tats-majors interarmĂ©es du Pentagone [JCS]. (âŠ) Cette rĂ©sistance des militaires date de lâĂ©tĂ© 2013. Ă cette Ă©poque, une Ă©valuation hautement classifiĂ©e avait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e conjointement par la Defense Intelligence Agency (DIA) et le JCS, qui Ă©tait alors dirigĂ© par le gĂ©nĂ©ral Martin Dempsey. Dans ce document, ces deux agences avaient estimĂ© que la chute du rĂ©gime el-Assad imposerait le chaos et la potentielle prise de contrĂŽle de la Syrie par des extrĂ©mistes jihadistes â Ă lâinstar de ce qui Ă©tait en train de se dĂ©rouler en Libye. »
Si lâon partage cette Ă©valuation des hauts responsables du Pentagone, un effondrement de lâĂtat syrien pourrait donc engendrer une situation de chaos gĂ©nĂ©ralisĂ©, dont profiteraient Daech et dâautres groupes extrĂ©mistes pour se renforcer et Ă©tendre leur influence. Câest pourquoi, dâaprĂšs Seymour Hersh, le Pentagone aurait tentĂ© Ă partir de lâautomne 2013 dâaider le gouvernement syrien Ă lutter contre les extrĂ©mistes en lui transmettant des informations via les services de renseignement militaire russes, allemands et israĂ©liens. En juillet 2015, cette opposition frontale entre le DĂ©partement de la DĂ©fense et la CIA a Ă©tĂ© ouvertement admise par Michael Flynn, lâancien responsable du Renseignement militaire du Pentagone (DIA). DĂšs 2012, son agence avait prĂ©dit la possible Ă©mergence dâun « Ătat Islamique Ȉ cheval entre lâIrak et la Syrie, qui aurait rĂ©sultĂ© du soutien occidental et proche-oriental en faveur de lâopposition anti-Assad.
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Le général Michael Flynn |
Afin de prĂ©ciser ses arguments, le gĂ©nĂ©ral Flynn avait ensuite dĂ©clarĂ© que le gouvernement des Ătats-Unis avait soutenu jusquâĂ prĂ©sent « une telle diversitĂ© de factions [anti-Assad quâ] il est impossible de comprendre qui est qui, et qui travaille avec qui. La composition de lâopposition armĂ©e syrienne, de plus en plus complexe, a rendu toute identification considĂ©rablement plus difficile. Pour cette raison, (âŠ) du point de vue des intĂ©rĂȘts amĂ©ricains, nous devons (âŠ) prendre du recul et soumettre notre stratĂ©gie Ă un examen critique. Ă cause de la possibilitĂ©, trĂšs rĂ©elle, que nous soutenions des forces liĂ©es Ă Ătat Islamique (âŠ), en mĂȘme temps que dâautres forces anti-Assad en Syrie. » Selon le gĂ©nĂ©ral Flynn, lorsquâil dirigeait la DIA, cette agence du Pentagone recensait « autour de 1 200 groupes belligĂ©rants » sur le théùtre de guerre syrien en 2014. De ce fait, il pense « que personne, y compris la Russie, nâa une comprĂ©hension claire de ce Ă quoi nous avons affaire lĂ -bas, mais sur le plan tactique, il est vraiment trĂšs important de le comprendre. Une vision unilatĂ©rale de la situation en Syrie et en Irak serait une erreur. »
La « guerre des gazoducs », les intĂ©rĂȘts Ă©nergĂ©tiques de la CIA et les prĂ©cĂ©dents afghans et indochinois
Manifestement, la politique officielle de la CIA consiste Ă prioriser le renversement dâel-Assad, quitte Ă armer des groupes liĂ©s voire affiliĂ©s Ă al-QaĂŻda. DâaprĂšs lâAgence, la chute du gouvernement syrien serait un prĂ©requis indispensable pour dĂ©truire lâautoproclamĂ© « Ătat Islamique ». Que lâon adhĂšre ou pas Ă cette vision, rappelons simplement que « si Daech est vaincu, au moins 65 000 combattants appartenant Ă dâautres groupes salafistes-jihadistes sont prĂȘts Ă prendre sa place », selon un prestigieux think tank britannique citĂ© par le Guardian en dĂ©cembre dernier. Il serait donc nĂ©cessaire que les Ătats-Unis adoptent une stratĂ©gie cohĂ©rente dans le conflit syrien, car ces deux guerres ont des objectifs antagonistes, ce qui laisse prĂ©sager une issue aussi catastrophique que la guerre dâIrak lancĂ©e illĂ©galement par lâadministration Bush en 2003. De telles contradictions ont pu ĂȘtre observĂ©es dans lâHistoire rĂ©cente, et les prĂ©cĂ©dents exemples de divergences intragouvernementales nous Ă©clairent sur les intĂ©rĂȘts qui conditionnent les politiques Ă©trangĂšres amĂ©ricaines.
Comme Peter Dale Scott lâa rappelĂ© en citant Steve Coll dans son dernier livre, « âau dĂ©but de lâannĂ©e 1991, les objectifs afghans du DĂ©partement dâĂtat et de la CIA Ă©taient ouvertement en compĂ©tition. (âŠ) [LâAgence] (âŠ) continua de collaborer avec le Renseignement militaire pakistanais dans une stratĂ©gie belliqueuse, qui faisait principalement le jeu dâHekmatyar et dâautres commandants islamistes.â Ces divergences entre le DĂ©partement dâĂtat et la CIA Ă©taient loin dâĂȘtre sans prĂ©cĂ©dent. Elles rappelaient en particulier le conflit qui les opposa en 1959 et 1960, dĂ©bouchant sur une guerre tragique au Laos puis au Vietnam. Ă lâimage des compagnies pĂ©troliĂšres ayant des intĂ©rĂȘts dans le conflit en Indochine, la CIA ne pensait pas seulement Ă lâAfghanistan entre 1990 et 1992, mais Ă©galement aux ressources pĂ©troliĂšres dâAsie centrale â oĂč certains [moudjahidines] formĂ©s par le centre al-Kifah [Ă Brooklyn] allaient concentrer leur attention. En Afghanistan, le DĂ©partement dâĂtat reprĂ©sentait la volontĂ© du Conseil National de SĂ©curitĂ© et de lâĂtat public. Dans le camp opposĂ©, la CIA nâĂ©tait pas âdĂ©voyĂ©eâ, comme dâaucuns lâont parfois suggĂ©rĂ©. Elle cherchait plutĂŽt Ă satisfaire les objectifs des compagnies pĂ©troliĂšres et de leurs financiers, ou ce que jâai appelĂ© lâĂtat profond, en leur prĂ©parant le terrain pour conquĂ©rir les ressources des anciennes rĂ©publiques soviĂ©tiques dâAsie centrale. »
Dans le contexte actuel, il est clair que la CIA cherche avant tout Ă remplir les objectifs des pĂ©tromonarchies, de la Turquie et de diffĂ©rentes multinationales Ă©nergĂ©tiques, Ă travers ce que le chercheur britannique Nafeez Ahmed a qualifiĂ© de « guerre des gazoducs » ravageant la Syrie. Dans un souci de mĂ©nager ses alliĂ©s du Golfe afin de garantir lâaccord avec lâIran, lâadministration Obama appuie cette stratĂ©gie, tout en Ă©tant rĂ©ticente Ă lancer une intervention militaire directe. Le fait que le soutien amĂ©ricain en faveur de groupes rebelles prĂ©tendument « modĂ©rĂ©s » se poursuit sans relĂąche tend Ă dĂ©montrer lâinfluence disproportionnĂ©e de la CIA et des intĂ©rĂȘts quâelle reprĂ©sente Ă Washington. Ce constat sous-tend Ă©galement lâinvaliditĂ© des analyses gĂ©opolitiques habituelles, qui font trop souvent rĂ©fĂ©rence Ă une seule et unique politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine. Actuellement, la stratĂ©gie visible des Ătats-Unis engage des Forces spĂ©ciales US aux cĂŽtĂ©s de milices kurdes et arabes, qui combattant Daech au nord de la Syrie. Entre ce pays et lâIrak, le Pentagone coordonne depuis aoĂ»t 2014 une opĂ©ration multinationale contre lâautoproclamĂ© « Ătat Islamique », dont les rĂ©sultats auraient dâailleurs Ă©tĂ© « enjolivĂ©s » en 2015.
Mais Ă un niveau plus profond, la CIA et ses partenaires opĂšrent clandestinement pour armer, entraĂźner et financer des groupes extrĂ©mistes qui cherchent Ă renverser Bachar el-Assad, ce qui fait indiscutablement le jeu de lâautoproclamĂ© « Ătat Islamique ». Nul doute que David Petraeus, Ă lâinstar de son successeur John Brennan, vont Ă©viter de sâen vanter dans les mĂ©dias, dissimulant la vraie nature de leurs opĂ©rations clandestines au nom de la raison dâĂtat. Puisquâelle menace la paix mondiale, il semblerait plus prudent que cette politique aventuriste soit interdite par le CongrĂšs, et le fait de lâexposer au grand jour comme la courageuse parlementaire Tulsi Gabbard est lâun des seuls moyens dây parvenir.