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Article 7

++17/04 - LES DEUX GUERRES DES ÉTATS-UNIS EN SYRIE:
LE PENTAGONE CONTRE LA CIA.



La Cabale se bat sur divers terrains et les peuples en font les frais.

DerriĂšre le dĂ©ni de Washington, la coresponsabilitĂ© de la CIA dans l’essor du jihad en Syrie


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Le général David Petraeus

Dans un entretien accordĂ© en mai dernier Ă  l’émission Frontline, David Petraeus – qui dirigea la CIA entre septembre 2011 et novembre 2012 –, a refusĂ© de rĂ©pondre Ă  une question sur les activitĂ©s de l’Agence en Syrie. Il occulta ensuite la coresponsabilitĂ© avĂ©rĂ©e de la CIA dans la montĂ©e en puissance des groupes extrĂ©mistes dans ce conflit. Lorsque le journaliste de Frontline l’interrogea sur ce qui avait « Ă©tĂ© proposĂ© au PrĂ©sident [Obama] pour qu’il entende ce que vous et d’autres responsables pensiez qu’il fallait faire (
) en Syrie Â», le gĂ©nĂ©ral Petraeus rĂ©pondit : « Vous savez, je ne peux parler de ce que j’aurais pu recommander en tant qu’ancien directeur de la CIA, car si j’avais recommandĂ© quelque chose, cela aurait relevĂ© du domaine de l’action clandestine, et nous ne faisons pas d’actions revendiquĂ©es. Donc c’est quelque chose dont je ne parlerai pas. Â» 
Bien qu’il ait refusĂ© d’évoquer publiquement l’implication secrĂšte de la CIA en Syrie,David Petraeus dĂ©signa explicitement les alliĂ©s arabes des puissances occidentales comme responsables de l’essor des groupes extrĂ©mistes en Syrie.Selon lui, « le manque de soutien [amĂ©ricain] pour les diffĂ©rentes forces d’opposition [sic] fut probablement une opportunitĂ© manquĂ©e. Ensuite, bien entendu, vous observez d’autres pays dans la rĂ©gion – les Saoudiens, les Qataris, les Émiratis – armer et financement diffĂ©rents Ă©lĂ©ments, qui sont parfois des groupes en quelque sorte en compĂ©tition. Puis vous commencez Ă  voir Ă©merger l’État Islamique et Ă  observer l’établissement du Jabhat al-Nosra [en janvier 2012], qui est le groupe affiliĂ© Ă  al-QaĂŻda en Syrie [, Ă©galement appelĂ© le Front Al-Nosra]. Donc ces deux milices se sont sĂ©parĂ©es [en avril 2013]. Â» 
Pour quiconque ayant Ă©tudiĂ© les activitĂ©s de la CIA en Syrie, ces arguments du gĂ©nĂ©ral Petraeus masquent le rĂŽle central de l’Agence dans la montĂ©e en puissance de ces groupes extrĂ©mistes. En effet,d’aprĂšs plusieurs sources crĂ©dibles, dont le New York Times, la CIA a « facilitĂ© Â» dĂšs le mois janvier 2012 les opĂ©rations clandestines d’approvisionnement en armes des rebelles en Syrie. Ces actions ont impliquĂ© les services saoudiens et qataris que l’ancien directeur de la CIA a implicitement dĂ©signĂ©s comme Ă©tant responsables de l’essor des groupes extrĂ©mistes sur le territoire syrien. En juillet 2013, le parlementaire britannique Lord Ashdown affirma que ces armes avaient Ă©quipĂ© « presque exclusivement Â» des milices jihadistes, dont le fameux Front al-Nosra, Ă  l’époque oĂč ce qui allait devenir Daech Ă©tait encore intĂ©grĂ© Ă  ce rĂ©seau avant leur scission d’avril 2013. 
Remarquons Ă©galement que le gĂ©nĂ©ral Petraeus a passĂ© sous silence le rĂŽle majeur de la Turquie dans cette guerre secrĂšte, sachant que de nombreuses actions clandestines de la CIA et de ses alliĂ©s pour armer les rebelles en Syrie ont impliquĂ© des opĂ©rations transfrontaliĂšres de livraisons d’armes depuis le territoire turc. 
Comme l’a prĂ©cisĂ© le grand reporter Seymour Hersh, « la CIA avait conspirĂ© depuis [2012] avec ses alliĂ©s britanniques, saoudiens et qataris pour acheminer en Syrie des armes et du matĂ©riel venant de Libye via la Turquie, et ce dans le but de renverser el-Assad. Â» En outre, un nombre croissant de sources officielles ont dĂ©noncĂ© le rĂŽle central de la Turquie dans le soutien des diffĂ©rents groupes extrĂ©mistes en Syrie, dont le Front al-Nosra et Daech. 
Ce dĂ©ni de rĂ©alitĂ© du gĂ©nĂ©ral Petraeus est symptomatique d’une potentielle dissimulation concertĂ©e Ă  Washington, sachant que le PrĂ©sident Obama, l’ancienne secrĂ©taire d’État Hillary Clinton et d’autres hauts responsables amĂ©ricains ont systĂ©matiquement occultĂ© le rĂŽle majeur de la CIA dans la guerre en Syrie. Comme l’a Ă©crit en aoĂ»t 2015 l’expert du Proche-Orient Joel Veldkamp, « [les nombreuses] informations sur l’engagement amĂ©ricain dans la facilitation des approvisionnements en armes de l’opposition n’ont jamais Ă©tĂ© rĂ©futĂ©es, ni dĂ©menties.Elles sont simplement ignorĂ©es, et elles se perdent dans la confusion suscitĂ©e par l’avalanche de dĂ©clarations contradictoires. Le fait que des journaux de premier plan et des personnalitĂ©s publiques critiquent actuellement l’administration Obama pour ne pas avoir armĂ© les rebelles [en Syrie] dĂ©montre le succĂšs de cette apparente stratĂ©gie de relations publiques. Â» 
RĂ©cemment, un ex-officier de la CIA nommĂ© Doug Laux a affirmĂ© qu’Obama n’avait jamais autorisĂ© l’Agence Ă  renverser le gouvernement el-Assad, ce qui a interloquĂ© de nombreux spĂ©cialistes. En effet, selon le site MintPressNews, « le rĂ©cit de Laux a fait froncer les sourcils des experts, puisqu’il a affirmĂ© qu’il existait une volontĂ© intentionnelle de renverser el-Assad, et car l’approbation de telles fuites par la CIA est inhabituelle. Les Ă©crits des anciens membres de l’Agence doivent ĂȘtre lus et approuvĂ©s par l’Agence. Or, malgrĂ© l’usage intensif du marker noir [dans le livre de Laux], la CIA a autorisĂ© la divulgation de cet aspect malgrĂ© la position officielle des États-Unis, qui consiste Ă  rĂ©futer que [leurs services] prennent part Ă  de telles opĂ©rations Â». Certains hauts responsables amĂ©ricains, parmi lesquels David Petraeus, ont dĂ©clarĂ© qu’une approbation du plan de Doug Laux par le PrĂ©sident Obama aurait empĂȘchĂ© l’émergence de Daech, occultant le fait que la CIA et ses alliĂ©s ont armĂ© massivement des groupes jihadistes en Syrie dĂšs janvier 2012 – ce qui a eu comme consĂ©quence majeure de renforcer al-QaĂŻda et l’autoproclamĂ© « Ă‰tat Islamique Â» dans ce pays. Comme l’a dĂ©clarĂ© le sĂ©nateur John McCain,« je peux affirmer avec confiance que l’on aurait aujourd’hui une Syrie bien diffĂ©rente si le PrĂ©sident des États-Unis n’avait pas ignorĂ© les avis du directeur de la CIA David Petraeus, de la secrĂ©taire d’État Hillary Clinton, et du secrĂ©taire Ă  la DĂ©fense Leon Panetta Â». 
De telles dĂ©clarations renforcent la fausse impression que les États-Unis ne sont pas intervenus en Syrie pour armer les rebelles, ajoutant de la confusion Ă  une situation dĂ©jĂ  complexe. Or, cette implication clandestine, illĂ©gale et massive de l’Agence pour renverser Bachar el-Assad est dorĂ©navant indĂ©niable. Elle a mobilisĂ© « plusieurs milliards de dollars Â», essentiellement saoudiens, et le New York Times a admis en janvier 2016 qu’elle avait renforcĂ© des groupes extrĂ©mistes officiellement considĂ©rĂ©s comme des ennemis des États-Unis.

La CIA contre le Pentagone : deux politiques Ă©trangĂšres antagonistes 

En novembre 2015, la reprĂ©sentante au CongrĂšs Tulsi Gabbard dĂ©posa une proposition de loi, dont le but est de « stopper immĂ©diatement la guerre illĂ©gale et contreproductive visant Ă  renverser le gouvernement syrien d’el-Assad Â», cette loi n’ayant toujours pas Ă©tĂ© dĂ©battue ni votĂ©e Ă  la Chambre des ReprĂ©sentants. Comme elle l’a expliquĂ© dans un communiquĂ© de presse dĂ©taillant cette initiative, « les États-Unis sont en train de mener deux guerres en Syrie. La premiĂšre est la guerre contre Daech et d’autres extrĂ©mistes islamistes, que le CongrĂšs a autorisĂ©e aprĂšs les attentats du 11-Septembre. La deuxiĂšme est la guerre [secrĂšte et] illĂ©gale pour renverser le gouvernement syrien d’el-Assad. Â» Elle ajouta que « renverser le gouvernement syrien d’el-Assad est le but de Daech, d’al-QaĂŻda et d’autres groupes islamistes extrĂ©mistes. Nous ne devrions pas nous allier avec ces fanatiques en les aidant Ă  remplir leur objectif, car cela est contraire aux intĂ©rĂȘts sĂ©curitaires des États-Unis et de la civilisation. Â» En effet, elle a prĂ©cisĂ© que « l’argent et les armes que la CIA distribue pour renverser le gouvernement syrien d’el-Assad vont directement ou indirectement dans les mains des groupes islamistes extrĂ©mistes, dont des [milices liĂ©es ou] affiliĂ©es Ă  al-QaĂŻda, Ă  al-Nosra, Ă  Ahrar al-Sham, et Ă  d’autres groupes qui sont en rĂ©alitĂ© les ennemis des États-Unis. Ces groupes forment prĂšs de 90 % des soi-disant forces d’opposition, et ils constituent les principales forces combattantes sur le terrain. Â» 
Au dĂ©but du mois de juin, le site d’information The Daily Beast s’est fait l’écho de ces deux guerres syriennes des États-Unis. En effet, l’un de ses journalistes a soulignĂ© l’opposition entre 
- le Pentagone – qui combat Daech en Syrie via des « conseillers militaires Â» –, 
- et la CIA qui admet dorĂ©navant qu’elle soutient des groupes liĂ©s ou affiliĂ©s Ă  al-QaĂŻda. 
Selon le Daily Beast, « les forces de l’opposition dans la plus grande ville de Syrie [, c’est-Ă -dire Alep,] subissent un assaut fĂ©roce menĂ© sous l’égide de la Russie, ce qui suscite des craintes que les rebelles puissent ĂȘtre Ă©liminĂ©s en quelques semaines. Quelle est la rĂ©ponse du Pentagone et de la communautĂ© du Renseignement ? Ils se crĂȘpent le chignon. Deux hauts responsables du DĂ©partement de la DĂ©fense ont dĂ©clarĂ© au Daily Beast qu’ils ne souhaitent pas soutenir les rebelles dans la ville d’Alep, puisqu’ils sont considĂ©rĂ©s comme Ă©tant affiliĂ©s Ă  al-QaĂŻda en Syrie, c’est-Ă -dire au Front al-Nosra. La CIA, qui appuie ces groupes rebelles, a rejetĂ© cette affirmation [du Pentagone], dĂ©clarant que l’offensive de plus en plus massive que les Russes coordonnent a engendrĂ© des alliances de circonstance, qui sont justifiĂ©es par les nĂ©cessitĂ©s du champ de bataille, et non par l’idĂ©ologie. “Il est Ă©trange que les discussions de couloir au DĂ©partement de la DĂ©fense imitent la propagande russe”, d’aprĂšs un haut responsable amĂ©ricain qui soutient les positions de la communautĂ© du Renseignement. Non sans ironie, il rejette les arguments du Pentagone, qui estime que l’opposition et al-Nosra constituent une seule et unique entitĂ©. Â» 
Les informations de ce site tendent Ă  confirmer les accusations de la diplomatie russe, qui a indiquĂ© au dĂ©but du mois de juin que les États-Unis auraient demandĂ© Ă  la Russie d’épargner le Front al-Nosra. Comme l’a rapportĂ© l’Associated Press, « le ministre des Affaires Ă©trangĂšres russes a dĂ©clarĂ© que Washington avait demandĂ© Ă  Moscou de ne pas cibler la branche d’al-QaĂŻda en Syrie, le Front al-Nosra. Or, vendredi dernier, les États-Unis ont insistĂ© sur le fait qu’ils souhaitaient que la Russie sĂ©lectionne rigoureusement ses cibles pour Ă©viter de frapper les civils et les groupes d’opposition lĂ©gitimes. D’aprĂšs [le ministre des Affaires Ă©trangĂšres russes Sergei Lavrov, “ils nous disent de ne pas frapper [al-Nosra], car l’opposition ‘normale’ se trouve Ă  proximitĂ©. Mais cette opposition doit quitter les positions des terroristes, nous nous sommes accordĂ©s sur cette nĂ©cessitĂ© depuis longtemps.” Â»

En Syrie, les rebelles « modĂ©rĂ©s Â» de la CIA arment al-QaĂŻda et combattent Ă  ses cĂŽtĂ©s 

Parmi les milices jugĂ©es « normales Â» et « lĂ©gitimes Â» Ă  Washington, la plus importante est le groupe Ahrar al-Sham, qui rassemblerait au moins 15.000 combattants. Comme l’a rapportĂ© le journaliste Gareth Porter, « Ahrar s’est opposĂ© Ă  certaines des plus dures versions de la Charia que le Front al-Nosra a imposĂ©es dans les zones conquises par la coalition anti-Assad Ă  Idleb [, au printemps 2015]. NĂ©anmoins, ce groupe a bien plus de points communs que de divergences avec al-Nosra. À l’instar de ces derniers, Ahrar al-Sham souhaite imposer un systĂšme politique post-Assad qui serait “un État Islamique sous la loi de la Charia”. Par ailleurs, Ahrar partage totalement la haine viscĂ©rale d’al-Nosra pour la minoritĂ© alaouite (
) En vĂ©ritĂ©, la coopĂ©ration militaire entre Ahrar al-Sham et le Front al-Nosra a Ă©tĂ© si Ă©troite que ces derniers considĂšrent Ahrar comme une source d’approvisionnement en armes, selon un ancien combattant d’al-Nosra ayant quittĂ© la Syrie. Â» 
Comme de nombreuses sources crĂ©dibles l’ont confirmĂ©, la guerre secrĂšte de la CIA contre le gouvernement el-Assad implique d’armer massivement le Front al-Nosra, soit par l’intermĂ©diaire de services alliĂ©s, soit en Ă©quipant des groupes dĂ©crits comme « modĂ©rĂ©s Â», tels que Ahrar al-Sham. À la suite de l’intervention russe dans le conflit syrien, des experts et des journalistes ont expliquĂ© que la CIA, essentiellement via les services spĂ©ciaux saoudiens et d’autres alliĂ©s rĂ©gionaux, livrait massivement des missiles antichars TOW de fabrication amĂ©ricaine aux rebelles en Syrie, et ce depuis 2013. Au printemps 2015, lors de l’offensive d’Idleb, les principaux destinataires de ces armements Ă©taient les combattants de l’ArmĂ©e de la ConquĂȘte, une coalition de groupes extrĂ©mistes coagulĂ©s autour d’al-QaĂŻda – dont la crĂ©ation au premier trimestre 2015 aurait Ă©tĂ© approuvĂ©e par Washington. Comme je l’avais soulignĂ© en novembre dernier, ces missiles ont eu un impact dĂ©cisif dans la guerre en Syrie, et les succĂšs militaires qu’ils ont engendrĂ©s pourraient ĂȘtre le premier facteur de l’intervention russe dans ce pays.

Toujours selon le Daily Beast,« mĂȘme si les rebelles n’avaient strictement aucun lien avec al-Nosra, il y aurait une sorte de contradiction stratĂ©gique dans les objectifs militaires des États-Unis. Selon ces hauts responsables du Pentagone, les rebelles [soutenus par la CIA] Ă  Alep sont en train de combattre le rĂ©gime el-Assad ; en revanche, l’effort militaire [du DĂ©partement de la DĂ©fense] a comme prioritĂ© de vaincre l’autoproclamĂ© État Islamique. “Nous ne jouons aucun rĂŽle Ă  Alep. Les forces que nous soutenons combattent Daech”, comme l’a expliquĂ© au Daily Beast un haut responsable du Pentagone. Â» Les objectifs du DĂ©partement de la DĂ©fense sont clairs, puisqu’ils se focalisent sur la lutte contre l’organisation terroriste d’Abou Bakr al-Baghdadi.Au contraire, le but de la CIA semble ĂȘtre ambigu, voire incohĂ©rent. En effet, l’Agence estime qu’il est indispensable de renverser el-Assad en soutenant des groupes liĂ©s ou affiliĂ©s Ă  al-QaĂŻda, puisque son rĂ©gime serait un facteur d’instabilitĂ© propice Ă  l’essor de Daech. D’aprĂšs le Daily Beast, « la communautĂ© du Renseignement, qui a soutenu les forces d’opposition Ă  Alep, pense que Daech ne peut ĂȘtre vaincu tant qu’el-Assad est au pouvoir. Selon eux, ce groupe terroriste prospĂšre dans des zones instables. Et seules les forces locales [sic] – telles que les milices soutenues par la CIA – peuvent attĂ©nuer cette menace. â€œL’opposition est rĂ©siliente face aux terribles attaques des forces syriennes et russes”, comme un haut responsable du Renseignement l’a affirmĂ© au Daily Beast. “La dĂ©faite d’el-Assad est un prĂ©requis indispensable pour que nous puissions vaincre [Daech]. Aussi longtemps qu’il y aura en Syrie un leader dĂ©faillant et un État qui l’est tout autant, [Daech] trouvera des zones pour opĂ©rer.” Â»

Le Pentagone aurait aidĂ© le gouvernement el-Assad Ă  combattre les jihadistes 

En rĂ©alitĂ©, les forces soutenant Bachar el-Assad semblent constituer le principal rempart contre Daech en Syrie, une Ă©valuation que partageraient les hauts gradĂ©s du Pentagone. En effet, comme l’a rapportĂ© Seymour Hersh dans la prestigieuse London Review of Books, « ces derniĂšres annĂ©es, l’insistance rĂ©currente de Barack Obama sur la nĂ©cessitĂ© d’un dĂ©part de Bachar el-Assad – et sur l’idĂ©e qu’il existerait des groupes rebelles “modĂ©rĂ©s” en Syrie qui seraient capables de le vaincre –, a provoquĂ© des dissensions officieuses, voire mĂȘme une opposition ouverte parmi les principaux officiers du ComitĂ© des chefs d’états-majors interarmĂ©es du Pentagone [JCS]. (
) Cette rĂ©sistance des militaires date de l’étĂ© 2013. À cette Ă©poque, une Ă©valuation hautement classifiĂ©e avait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e conjointement par la Defense Intelligence Agency (DIA) et le JCS, qui Ă©tait alors dirigĂ© par le gĂ©nĂ©ral Martin Dempsey. Dans ce document, ces deux agences avaient estimĂ© que la chute du rĂ©gime el-Assad imposerait le chaos et la potentielle prise de contrĂŽle de la Syrie par des extrĂ©mistes jihadistes – Ă  l’instar de ce qui Ă©tait en train de se dĂ©rouler en Libye. Â» 
Si l’on partage cette Ă©valuation des hauts responsables du Pentagone, un effondrement de l’État syrien pourrait donc engendrer une situation de chaos gĂ©nĂ©ralisĂ©, dont profiteraient Daech et d’autres groupes extrĂ©mistes pour se renforcer et Ă©tendre leur influence. C’est pourquoi, d’aprĂšs Seymour Hersh, le Pentagone aurait tentĂ© Ă  partir de l’automne 2013 d’aider le gouvernement syrien Ă  lutter contre les extrĂ©mistes en lui transmettant des informations via les services de renseignement militaire russes, allemands et israĂ©liens. En juillet 2015, cette opposition frontale entre le DĂ©partement de la DĂ©fense et la CIA a Ă©tĂ© ouvertement admise par Michael Flynn, l’ancien responsable du Renseignement militaire du Pentagone (DIA). DĂšs 2012, son agence avait prĂ©dit la possible Ă©mergence d’un « Ă‰tat Islamique Â»Ă  cheval entre l’Irak et la Syrie, qui aurait rĂ©sultĂ© du soutien occidental et proche-oriental en faveur de l’opposition anti-Assad. 
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Le général Michael Flynn
Afin de prĂ©ciser ses arguments, le gĂ©nĂ©ral Flynn avait ensuite dĂ©clarĂ© que le gouvernement des États-Unis avait soutenu jusqu’à prĂ©sent « une telle diversitĂ© de factions [anti-Assad qu’] il est impossible de comprendre qui est qui, et qui travaille avec qui. La composition de l’opposition armĂ©e syrienne, de plus en plus complexe, a rendu toute identification considĂ©rablement plus difficile. Pour cette raison, (
) du point de vue des intĂ©rĂȘts amĂ©ricains, nous devons (
) prendre du recul et soumettre notre stratĂ©gie Ă  un examen critique. Ă€ cause de la possibilitĂ©, trĂšs rĂ©elle, que nous soutenions des forces liĂ©es Ă  État Islamique (
), en mĂȘme temps que d’autres forces anti-Assad en Syrie. Â» Selon le gĂ©nĂ©ral Flynn, lorsqu’il dirigeait la DIA, cette agence du Pentagone recensait « autour de 1 200 groupes belligĂ©rants Â» sur le théùtre de guerre syrien en 2014. De ce fait, il pense « que personne, y compris la Russie, n’a une comprĂ©hension claire de ce Ă  quoi nous avons affaire lĂ -bas, mais sur le plan tactique, il est vraiment trĂšs important de le comprendre. Une vision unilatĂ©rale de la situation en Syrie et en Irak serait une erreur. Â» 

La « guerre des gazoducs Â», les intĂ©rĂȘts Ă©nergĂ©tiques de la CIA et les prĂ©cĂ©dents afghans et indochinois 

Manifestement, la politique officielle de la CIA consiste Ă  prioriser le renversement d’el-Assad, quitte Ă  armer des groupes liĂ©s voire affiliĂ©s Ă  al-QaĂŻda. D’aprĂšs l’Agence, la chute du gouvernement syrien serait un prĂ©requis indispensable pour dĂ©truire l’autoproclamĂ© « Ă‰tat Islamique Â». Que l’on adhĂšre ou pas Ă  cette vision, rappelons simplement que « si Daech est vaincu, au moins 65 000 combattants appartenant Ă  d’autres groupes salafistes-jihadistes sont prĂȘts Ă  prendre sa place Â», selon un prestigieux think tank britannique citĂ© par le Guardian en dĂ©cembre dernier. Il serait donc nĂ©cessaire que les États-Unis adoptent une stratĂ©gie cohĂ©rente dans le conflit syrien, car ces deux guerres ont des objectifs antagonistes, ce qui laisse prĂ©sager une issue aussi catastrophique que la guerre d’Irak lancĂ©e illĂ©galement par l’administration Bush en 2003. De telles contradictions ont pu ĂȘtre observĂ©es dans l’Histoire rĂ©cente, et les prĂ©cĂ©dents exemples de divergences intragouvernementales nous Ă©clairent sur les intĂ©rĂȘts qui conditionnent les politiques Ă©trangĂšres amĂ©ricaines.

Comme Peter Dale Scott l’a rappelĂ© en citant Steve Coll dans son dernier livre, « â€œau dĂ©but de l’annĂ©e 1991, les objectifs afghans du DĂ©partement d’État et de la CIA Ă©taient ouvertement en compĂ©tition. (
) [L’Agence] (
) continua de collaborer avec le Renseignement militaire pakistanais dans une stratĂ©gie belliqueuse, qui faisait principalement le jeu d’Hekmatyar et d’autres commandants islamistes.” Ces divergences entre le DĂ©partement d’État et la CIA Ă©taient loin d’ĂȘtre sans prĂ©cĂ©dent. Elles rappelaient en particulier le conflit qui les opposa en 1959 et 1960, dĂ©bouchant sur une guerre tragique au Laos puis au Vietnam. À l’image des compagnies pĂ©troliĂšres ayant des intĂ©rĂȘts dans le conflit en Indochine, la CIA ne pensait pas seulement Ă  l’Afghanistan entre 1990 et 1992, mais Ă©galement aux ressources pĂ©troliĂšres d’Asie centrale – oĂč certains [moudjahidines] formĂ©s par le centre al-Kifah [Ă  Brooklyn] allaient concentrer leur attention. En Afghanistan, le DĂ©partement d’État reprĂ©sentait la volontĂ© du Conseil National de SĂ©curitĂ© et de l’État public. Dans le camp opposĂ©, la CIA n’était pas “dĂ©voyĂ©e”, comme d’aucuns l’ont parfois suggĂ©rĂ©. Elle cherchait plutĂŽt Ă  satisfaire les objectifs des compagnies pĂ©troliĂšres et de leurs financiers, ou ce que j’ai appelĂ© l’État profond, en leur prĂ©parant le terrain pour conquĂ©rir les ressources des anciennes rĂ©publiques soviĂ©tiques d’Asie centrale. Â» 
Dans le contexte actuel, il est clair que la CIA cherche avant tout Ă  remplir les objectifs des pĂ©tromonarchies, de la Turquie et de diffĂ©rentes multinationales Ă©nergĂ©tiques, Ă  travers ce que le chercheur britannique Nafeez Ahmed a qualifiĂ© de « guerre des gazoducs Â» ravageant la Syrie. Dans un souci de mĂ©nager ses alliĂ©s du Golfe afin de garantir l’accord avec l’Iran, l’administration Obama appuie cette stratĂ©gie, tout en Ă©tant rĂ©ticente Ă  lancer une intervention militaire directe. Le fait que le soutien amĂ©ricain en faveur de groupes rebelles prĂ©tendument « modĂ©rĂ©s Â» se poursuit sans relĂąche tend Ă  dĂ©montrer l’influence disproportionnĂ©e de la CIA et des intĂ©rĂȘts qu’elle reprĂ©sente Ă  Washington. Ce constat sous-tend Ă©galement l’invaliditĂ© des analyses gĂ©opolitiques habituelles, qui font trop souvent rĂ©fĂ©rence Ă  une seule et unique politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine. Actuellement, la stratĂ©gie visible des États-Unis engage des Forces spĂ©ciales US aux cĂŽtĂ©s de milices kurdes et arabes, qui combattant Daech au nord de la Syrie. Entre ce pays et l’Irak, le Pentagone coordonne depuis aoĂ»t 2014 une opĂ©ration multinationale contre l’autoproclamĂ© « Ă‰tat Islamique Â», dont les rĂ©sultats auraient d’ailleurs Ă©tĂ© « enjolivĂ©s Â» en 2015. 
Mais Ă  un niveau plus profond, la CIA et ses partenaires opĂšrent clandestinement pour armer, entraĂźner et financer des groupes extrĂ©mistes qui cherchent Ă  renverser Bachar el-Assad, ce qui fait indiscutablement le jeu de l’autoproclamĂ© « Ă‰tat Islamique Â». Nul doute que David Petraeus, Ă  l’instar de son successeur John Brennan, vont Ă©viter de s’en vanter dans les mĂ©dias, dissimulant la vraie nature de leurs opĂ©rations clandestines au nom de la raison d’État. Puisqu’elle menace la paix mondiale, il semblerait plus prudent que cette politique aventuriste soit interdite par le CongrĂšs, et le fait de l’exposer au grand jour comme la courageuse parlementaire Tulsi Gabbard est l’un des seuls moyens d’y parvenir.
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